Faire naître et élever des lamas pour une autre conception de l'animal

   Lamas élevage : Les naissances à l'élevage de Lamas des Granades

 

Ce jour de la naissance se charge pendant les longs mois de gestation de la femelle lama de tous mes espoirs mais aussi parfois de mes doutes . Quand ce jour arrive, même avec l’expérience, c’est toujours les mêmes émotions avec ce petit soupçon de “trac” devant ce moment où la vie va se jouer.

Ce jour là, il est nécessaire d’être présent en cas de problème.

Aussi je me pose deux questions: C’est pour quand ?    Quelles dispositions je prends pour que tout se passe bien ?

C’est pour quand ? 

On peut aborder le problème par étapes successives de plus en plus rapprochées de la date recherchée.

Tout d’abord, impossible de connaître le terme si l’on ne connaît pas le jour du départ de la gestation .

C’est pourquoi je pratique la saillie “en mains”, de préférence à une reproduction en liberté.

A partir de 270 jours environ  je cherche par percussion douce avec mes doigts  repliés sur l’abdomen de la mère la présence du petit. C’est ,effectivement, bien tard pour un diagnostic de gestation mais ça évite d’attendre éternellement un cria qui ne viendra jamais parce que la femelle a discrètement avortée entre temps.

Aux Lamas des Granades, sur une centaines de gestations  la durée moyenne s'établit à 350 jours. Si on ne tient pas compte des durées extrèmes(330 jours et 378jours) on peut prévoir à l'avance sur le calendrier une période de 3 semaines environ autour du 350ème jour dans laquelle on aura de grandes chances d'avoir la naissance.Evidemment l'éleveur ne se souviendra que des naissances qu'il aura attendu beaucoup plus longtemps.

 

        A l’intérieur de cette période quel jour sera le bon?

 Le “mot clé” est changement.

Cela implique une observation , fine et concrète ,si possible 2 fois par jour de la femelle lama.

Trois points à observer :  la mamelle, la vulve , le comportement.                                                            

Changement de la mamelle:  La femelle lama doit fournir impérativement l’indispensable colostrum dans les 3 ou 4 heures qui suivent la mise-bas  .Elle doit donc se préparer à cela. Le problème avec le lama c’est qu’il est un animal discret!

Si certaines femelles veulent bien “mettre du pis” dans les toutes dernières semaines et nous offrir quelques gouttes de lait que l‘on tire en pressant la tétine, d’autres ne se privent pas de cacher leur jeu jusqu’au dernier moment ,c’est à dire jusqu’à la mise -bas!

 Changement de la vulve:   On se doute qu’ un nouveau-né d’ une douzaine de kg ne passera pas par une ouverture vulvaire de 3 à 5 cm de long ce qui est la taille normale ( plus petite chez les primipares). Mais, là aussi le lama nous refait le coup de la discrétion. Alors que chez la vache, par exemple, la région périnéale se  relâche en général dans les 48h avant le vêlage, chez le lama c’est plutôt le jour même. L'observation 3 fois par jour permet de voir que la vulve s'allonge de 1 ou 2 travers de doigt le jour de la mise-bas. 

A l'élevage les naissances ont lieu de 9h à 16h pour près de 80% (1). Aucune pendant la nuit.

C’est donc une donnée utile pour cibler les observations, concentrer son attention sur les moments décisifs et non s'user sur des périodes interminables d'attente au point de ne plus être en pleine lucidité au moment où tout va se jouer.

Changement du comportement:      C’est le point déterminant.     Malheureusement , il vient en dernier.

Dans la phase 1 de la mise-bas, le foetus ,sous l’action des contractions utérines progresse vers l’entrée du bassin osseux. De ce fait il va appuyer encore plus qu’il ne faisait sur la vessie, en particulier.

Cela explique l’apparition d’une agitation et d’une inquiétude plus ou moins marquée de la femelle: notre lama se met un peu à l’écart pour être plus tranquille, elle change de place fréquemment en se levant et se recouchant, au passage elle émet un maigre filet d’urine, elle pousse ou non  ces petits “hum, hum” caractéristiques d’une inquiétude, elle va s’arrêter de manger et de ruminer.

Ensuite le foetus s’engage véritablement dans le canal osseux du bassin  et ce sont les efforts expulsifs de la mère qui en feront sortir le petit.

Si les contractions utérines n’étaient pas visibles directement et ne se traduisaient que par l’agitation plus ou moins grande de la mère, les efforts expulsifs , dû à la contraction des muscles abdominaux, sont bien visibles. Ensuite arrive, là aussi discrètement, la poche des eaux puis les membres antérieurs puis la tête(  parfois les postérieurs puis la queue) La femelle met bas debout ou couchée.

Quelles dispositions je prends pour que tout se passe bien ?

Pour moi, deux impératifs quelque peu contradictoires:      

      Respecter le comportement d’isolement de la femelle puisque on sait qu’une femelle dérangée pourra retarder sa mise-bas.

       Surveiller quand même, en cas de problème. 

Respecter le comportement... Je ne sors donc pas la femelle de son cadre habituel ( le pâturage ) ni ne la sépare de ses compagnes lamas pour ne pas la perturber ( en cas de besoin  il y a un corral dans chaque parc. ) 

Ensuite dès que j’ai repéré le début de la mise-bas je me trouve une occupation à proximité qui me permet de me rapprocher de temps en temps  pour surveiller discrètement le déroulement du processus.

En fait, trompé par la très grande facilité avec laquelle cette espèce met bas par rapport à beaucoup d’autres, j’ai très souvent trouvé un petit près de sa mère que je venais de voir même pas 10 minutes plus tôt , alors que  les onglons du foetus n’étaient même pas apparus à la vulve. On peut se sentir un peu frustré mais, en fait, c’est par définition la naissance réussie puisque l’expulsion, aussi rapide, n’a donc été freinée par aucune sorte de problème.

Surveiller quand même... Il se trouve que maintenant j’arrive presque toujours à être là pour voir sortir le cria.  D’une part le poids des nouveaux -nés a augmenté  (changement de mâle) donc ralentissement de l’expulsion, et ensuite j’ai enfin intégré que cette expulsion était néanmoins beaucoup plus rapide que chez nos autres herbivores domestiques. 

Mais laissez moi, pour terminer, vous raconter une naissance un peu particulière, riche d’enseignements.

6 Mai 2003: Luna ,jeune lama femelle née à Restes, est gestante pour la première fois; elle en est à son 359 ème jour. Mélia et les criasDepuis 15 jours je regarde la mamelle qui ne s’est modifiée que vraiment très peu , le colostrum , dans ces conditions n’est évidemment pas apparu non plus . Ce matin toutefois à 9h, il me semble que la mamelle a augmenté de volume par rapport à la veille. Les tétines ne sont cependant pas gonflées et je ne peux faire sourdre le lait. La vulve fait 2 travers de doigts, comme la veille.

     A 17h je la pousse doucement jusqu’au corral et là je constate que la mamelle a encore gonflée, cette fois- ci plus nettement, les tétines sont gonflées elles aussi et je fais sortir du lait sans peine. Mais ce qui est bien plus significatif, c'est que la vulve s’est relâchée ( presque un travers de doigt de plus)   Le comportement, par contre est quasiment normal mis à part des mictions fréquentes quand même et des couchers et relevers plus nombreux.

Je suis perplexe : le processus de mise bas est imminent mais l’ horaire ne cadre pas car, au point où elle  en est , le petit ne pourra pas naître avant la nuit  et ça, ce n'est jamais arrivé dans mon élevage de plein air.

       A 20h les couchers-relevers-mictions sont plus nombreux. Les couchers ,en particuliers sont plus précautionneux ( signe de plus grande compression des organes par le foetus ) Mais surtout ce qui me frappe d’emblée c’est une nette accélération de la respiration avec des mouvements respiratoires de faible amplitude et des narines en mouvement incessant . Les autres femelles sont couchées et respirent normalement. Pas de canicule ce 6 Mai à 20h quelque part dans l’Aveyron.

J’en arrive à la conclusion, qu’en fait, Luna contrôle ses contractions.

      A 23h même tableau. Je décide alors d’aller me coucher  parce qu’il ne faudra pas rater le lever du jour.

Au lever du jour, je le suis , moi aussi. Mon petit nécessaire sous le bras ( des gants, un gel pour les mains, un peu d’eau pour éventuellement arroser la nuque du petit, une serviette pour le sécher , un licol éventuellement pour rentrer la mère au corral ) je me dirige rapidement vers le haut du pré et rapidement j’ai compris: les femelles sont debout ,agglutinées. Je m’approche, Luna est derrière, debout, les 2 deux pattes du cria  commencent de sortir...

   Brave petite Luna qui a attendu le lever du jour, fidèle gardienne des capacités de l’espèce dans sa lutte pour la vie!  Saurons nous toujours vous connaître assez afin de mieux vous respecter ?

ou bien subirez vous le sort de ces animaux, confinés dans des bâtiments ou de ces autres, réduits à l’état de peluche de canapé, se faufilant ,le soir venu, dans le lit de leurs “maîtres” ....

   ...Mais je finis de m’approcher: Luna est assez grande pour faire le petit toute seule mais comme elle en a déjà fait beaucoup pour son cria  elle mérite bien un peu d’aide. Je saisis donc les pattes du cria, doucement. Sous ma traction Luna se couche puis  glisse sur le côté. Je saisis délicatement aussi la tête et, en tirant en même temps qu’un effort de Luna, nous sortons tous les deux le petit. Je le suspend quelques secondes par les postérieurs, tête en bas pour lui faire cracher d’éventuelles glaires, le repose puis le frictionne un peu. Il m’a l’air bien tonique, ce petit mâle, un peu surpris de voir autant de monde à une heure aussi matinale. Tout me semble en place et en nombre. La mère colle son nez contre le sien . Il est temps de ne pas perturber davantage par ma présence ces moments décisifs pour l’identité du cria.

  Après le petit déjeuner, je reviens pour désinfecter le cordon et le peser (11,5kg ) il est déjà debout et cherche la tétine activement, qu’il va trouver peu de temps après.

  Décidément, il y a des matins où l’air est vraiment plus doux....

 

 

(1) après la saison de naissances 2009 et plus d'une centaine de naissances au total pour mon élevage, ce sont près de 90% des naissances qui ont lieu entre 9h et 16h ...et toujours pas de naissances la nuit à l'élevage de Lamas des Granades.

 

 

                                                                                                                                                                         André Richard

 

Lamas et Alpagas Magazine Printemps 2003